Théo Gerber - MOI ET L'AFRIQUE

pourquoi l'Afrique ?

 

...mon parcours à travers la brousse. Ce n'est pas un chemin ; à tout moment je change de direction pour trouver un passage. Les branches me tâtonnent, des épines me blessent et des feuilles me caressent. Seul dans ce labyrinthe je ne connais pas de but – je les aime, ces broussailles d'Afrique ; – elles me conduisent vers le monde du désir.

Récemment, des questions au sujet de mon affection pour l'Afrique se posent.

Je me rends compte : il y a des malentendus bien compréhensibles. Dans ce texte j'essaye d'éclaircir certains trous d'ombre en sautant d'une idée à l'autre avec des mots clefs, des points d'interrogation et des idées à suivre.

Il y a une dizaine d'années, la situation en Afrique du Sud me tourmentait à ce point qu'il fallait prendre position. (mes textes sur ce sujet sont disponibles.)

Ce temps-là, mon intérêt était restreint sur la lutte dans ce pays et je donnais l'im-pression d'un humaniste au service des droits de l'homme ; – ce n'était pas faux mais c'était pas juste! Pour comprendre il faut retourner dans ma jeunesse, retrouver ce petit garçon au centre de la Suisse, à côté de la plaque, – dominé par des montagnes. Grâce à la peinture et la poésie j'essayais d'échapper à l'oppression de mon milieu...

Hermann Hesse, ses livres, ses idées et ensuite la rencontre à Montagnola au Tessin. Notre conversation passait par le livre Siddharthavoyage vers l'Orient !
La rencontre avec une autre culture, – un antidote contre "le malaise dans notre culture". (Siegmund Freud)

Jeune peintre à Bâle j'ai compris : même dans le monde des arts j'étais piégé une fois de plus. Il fallait chercher ailleurs – plus loin, pourquoi pas en Afrique ?

Chez les Dogons, une tribu d'animistes retirée sur la falaise de Bandiagara, j'étais un apprenti essayant de trouver un autre regard sur le monde. Mon voyage en Afrique a peu de points communs avec d'autres voyageurs. Les objets d'arts et les questions ethnologiques n'étaient qu'un prétexte – au centre se cachaient une question existentielle. Paul Gaugin à Hiva Oa, était-il en quête de la même chose ? Je laisse à José Pierre la responsabilité de comparer ma "fuite vers l'Afrique" avec celle d'Arthur Rimbeau.

Alors, où se cache rapport existentiel avec ma peinture et l'Afrique ?

Le geste de peindre, mettre de la couleur sur une surface reste la seule chose en commun entre les soi-disant "peintres". Pourquoi peindre ? Pour quelle cause ?

Pour moi c'est une possibilité d'inventer un autre monde, – un acte de révolte ! Découvrir un autre monde, c'était le voyage : très jeune en 1947 - 49 c'était l'Italie de l'après-guerre – la Norvège et Paris vers 1950 – l'Algérie, la Tunisie et le Maroc en 1951)... et L'Afrique noire (1955/ 56, 1958 et 1960).

D'expliquer le fond de ma fascination pour le monde des Dogons pose des problèmes linguistique des que j'essaye de m'exprimer. Déjà nos mots que nous utilisons créaient des malentendus : profanes – sacré – la religion – la sorcellerie

et dieu !....Sur ce plan je suis en désaccords avec les ethnologues, même avec Marcel Griaule, pourtant un connaisseur et ami des Dogons. Il utilise le mot "dieu" (titre d'un livre exceptionnel "DIEU D'EAU".

Le mot "dieu" représente dans notre culture tellement autre chose que là-bas : un créateur fait l'amour avec la terre et de cette union naissent des êtres humains ; il ne donne aucunes directives, ni punissions, ni péché. C'est a eux de se débrouiller pour retrouver l'équilibre dans le monde ; cet équilibre fragile est toujours en danger. "Il faut rétablir l'ordre". Les sages ont créé des pratiques (des cultes) pour résoudre ces problèmes.

...et il y a toujours la possibilité de faire autrement si vraiment on le veux !

Voilà.

Dans ces explications trop simpliste, j'essaye de me limiter pour ne pas me perdre dans le brouillard, – j'y retrouve, sans le vouloir le début de mon texte.

"....mon parcours à travers la brousse n'est pas un chemin, – à tout moment je change de direction pour trouver un passage...."

Curieusement je découvre ce moment même un rapport avec ma manière de peindre. Les Surréalistes ont utilisés le terme "Automatisme". Avancer en tâtonnant sur une toile et de lire dans les taches hasardeuses des événements ; – ma promenade dans le labyrinthe des broussailles en Afrique sont une démarche provenant de la même source. Les Dogons à l'écoute du langage de l'intérieur ont la même possibilité :

faire autrement que c'était prévu ! Il faut le vouloir avec toute sa force.

Pour moi c'est une possibilité d'échapper aux concepts de notre monde :

actuellement le formalisme est roi, avec ses directives, ses commandements et ses préjugés.

Ses lois écrasent l'imaginaire. Le peintre, drôle d'oiseau dans le Pays-De-Nulle-Part s'envole – il tombe dans le vide et repars vers d'autres horizons. Dans le désordre de "notre monde" toute chose peux retrouver sa place.

Cet optimisme scandaleux à la fin de ce texte, je l'exprime pour ces peintres

de demain ; ceux qui quittent la grande route. – Le troupeau avec ces chefs de file nous détournent de nos désirs les plus secrets.
A nous de choisir !

 

 

©Théo Gerber 1995